Depuis le début de la crise sanitaire, les discriminations et les agressions envers la communauté asiatique ont drastiquement augmenté. Accusées d’être à l’origine de cette pandémie mondiale, les personnes perçues comme asiatiques subissent de nombreuses violences verbales et physiques dans les rues et sur les réseaux sociaux. Peur, colère, ras le bol… Ce racisme est présent depuis bien longtemps et les communautés asiatiques se mobilisent de plus en plus afin de faire entendre leur voix.
Pendant le premier confinement en France et dans le monde, de nombreux asiatiques ont subi des discriminations. « Je rentrais dans le métro à Lille pour aller à la faculté fin 2019, quand une dame s’est immédiatement bouché le nez en me scrutant de haut en bas et en se retournant. Pendant tout le trajet, je l’ai fixée, incapable de penser à quoique ce soit, mais elle ne me regardait pas, elle me dédaignait de tout son être, me lançant des regards de dégoût. Mon cœur s’est mis à battre très vite, car je me suis sentie profondément humiliée », raconte Claire, jeune fille d’origine chinoise de 22 ans, épuisée mentalement par ce racisme ambiant.
Pour Steven, d’origine sino-cambodgienne, et ses amis, la situation a presque viré au drame. Après avoir reçu de nombreuses réflexions du type « tching-tchong » ou « coronavirus », les auteurs de ces propos les ont poursuivis. « Finalement, je pense qu’on a évité de peu de se faire frapper pour nos origines. Un adulte nous a aidé quand il a vu tous les jeunes qui nous suivaient et nous insultaient », exprime le jeune Sévranais.
Maintenant, ce type d’appel à la haine contre les chinois est insupportable. Signalons-les, mais ne les citons pas pour ne pas leur faire plus de trafic. pic.twitter.com/mUfRohJFwI
— Rui WANG (@ruiwangfrance) October 29, 2020
Lors du deuxième confinement, des internautes ont appelé à agresser des personnes asiatiques, sur Twitter. De nombreuses associations telles que l’Association des jeunes chinois de France (AJCF), ont porté plainte et le procès s’est tenu en mars. « Le Covid a beaucoup contribué à la mise en lumière du racisme anti-asiatique, constate Daniel Tran, vice-président de l’AJCF et délégué à la lutte contre les discriminations à la mairie du 13e arrondissement de Paris. Mais avant, le phénomène existait bien. Il y a toujours eu des agressions en lien avec les clichés véhiculés sur les asiatiques mais qui n’ont pas été aussi médiatisées. »
Ma tante a posté ça sur FB…
Ça me dégoûte profondément, il y en a vous cachez même plus votre racisme #JeNeSuisPasUnVirus pic.twitter.com/To4VQVB8ms— Prunille (@TT_Guillaume) January 29, 2020
Des micro-agressions au passage à l’acte
Récemment, c’est aux Etats-Unis – plus précisément à Atlanta – que le racisme a fait de graves victimes. Huit personnes dont six femmes d’origine asiatique, ont été tuées par balle dans trois salons de massage, mardi 16 mars 2021. L’auteur des fusillades se présente comme un « obsédé sexuel ». Niant le caractère raciste de ses faits, il explique avoir tué ces femmes pour « supprimer une tentation ». Les acteurs de la lutte contre le racisme anti-asiatique sont unanimes, le motif du massacre est bien à caractère raciste. « Bien sûr que les clichés tuent. Ce n’est pas anodin qu’il ait ciblé des salons de massages tenus par des femmes asiatiques. Elles sont hypersexualisées », souligne le vice-président de l’AJCF. Avec le soft power américain, on voit des films où le rôle de la femme asiatique est hyper sexy. C’est une masseuse, une prostituée, une femme fatale ou une soumise, avec l’image des geishas. », poursuit-il.
En France, le racisme ordinaire a également tué. En 2016, Zhang Chaolin, un couturier chinois de 49 ans trouve la mort suite à une violente agression à Aubervilliers. Trois jeunes se sont jetés sur lui pour lui voler sa sacoche. Le caractère raciste de l’agression a été reconnu. Daniel Tran explique qu’il a été tué « car ses agresseurs pensaient qu’il avait beaucoup d’argent sur lui ».
Les homicides restent pour l’instant rares. Mais les asiatiques sont régulièrement la cible des agresseurs. C’est le cas de Mélanie, 23 ans, d’origine laotienne, habitant en région parisienne et qui a été victime de vols à l’arraché. « Il m’était impossible de sortir sans me retourner toutes les deux secondes. J’avais toujours mes clés ou une gourde en inox dans la main, prête à me défendre. Je reste traumatisée par la violence physique. J’essaye de ne pas trop y penser mais c’est dur et encore plus dur quand je vois ce qu’il se passe ailleurs. »
Un racisme différent des autres ?
Lorsque l’on parle de racisme anti-asiatique, les principaux concernés assimilent régulièrement ce terme au racisme ordinaire. « C’est un racisme qui donne l’impression de ne pas être du racisme. Employer l’expression de « racisme ordinaire », cela permet de le différencier d’autres formes que prend le racisme, comme le racisme institutionnel par exemple, explique Joohee, instigatrice du hashtag #Jenesuispasunvirus. Mais ce n’est pas pour autant que le racisme dit ordinaire serait moins violent ou moins impactant notamment au niveau de la santé mentale. Le racisme ordinaire se compose de toutes les manifestations quotidiennes que peut prendre le racisme : racisme récréatif (blagues et humour racistes), racisme symbolique et culturel (stéréotypes, fétichisation, expropriation culturelle). »
Selon Estelle de Sororasie, un réseau d’entraide de femmes et minorités de genre asiatique, le problème vient du manque de représentation dans les médias, les hautes fonctions publiques et l’éducation. « À l’école, on apprend plus l’histoire coloniale des occidentaux en Afrique qu’en Asie. La communauté asiatique est vue comme celle qui n’a jamais eu de problème, qui est bien intégrée donc ‘pourquoi faudrait-il faire une marche contre le racisme anti-asiatique ?’ Même quand on regarde certains médias, ils se demandent si le racisme anti-asiatique existe. Il est beaucoup plus banalisé qu’aux États-Unis. »
Pour Joohee, « ce racisme impacte particulièrement les personnes asiatiquetées – perçues comme asiatiques par l’imaginaire collectif. Comme c’est un racisme difficile à identifier comme tel, de nombreuses personnes pensaient, avant la pandémie, que le racisme à l’égard des communautés asiatiquetées n’existait pas. En France, le racisme est vu principalement sous l’angle des discriminations (définies comme des refus d’accès aux droits comme le travail, le logement) et des violences institutionnelles, notamment policières. Je pense que le cliché selon lequel les communautés asiatiques réussissent économiquement et professionnellement laisse entendre que ces mêmes communautés ne subissent pas de violences institutionnelles. Or les communautés asiatiques sont plurielles. Il existe des personnes sans papiers, des travailleur·euses du sexe, des immigré·es précaires qui sont exposé·es aux violences institutionnelles et policières. »
Une mobilisation dans la rue et sur les réseaux sociaux
En Amérique du Nord, les communautés asiatiques sont descendues dans les rues pour manifester leur colère suite aux massacres d’Atlanta. Un ras-le-bol général. Le contexte actuel, depuis le Covid-19, a davantage accentué les mobilisations. « Stop Asian Hate » pouvait-on lire sur les pancartes et sur les réseaux sociaux. Des milliers de personnes issues de toutes les communautés ont apporté leur soutien face à la recrudescence des agressions envers les asiatiques. « Sur Sororasie, on a parlé de la manifestation à Montréal pour avoir une autre perception de comment d’autres pays réagissent face au racisme anti-asiatique surtout dans le contexte nord-américain, notamment avec Atlanta, explique Estelle. C’est un racisme différent de la France, un racisme très systémique ancré dans les institutions américaines. »
À l’instar de Sororasie, de nombreux comptes de sensibilisation ont vu le jour sur Instagram tels que @banane_camembert, @collectif_paaf ou @collectifasiatiqueantiraciste. Une nouvelle forme de mobilisation est née en France, notamment grâce à la diffusion du hashtag #Jenesuispasunvirus sur Twitter. « Le fait que ce hashtag soit autant relayé m’a fait prendre conscience de l’importance de libérer la parole et aussi de porter une parole collective et politique dans l’espace public. », confie Joohee.
Avant l’essor de tous ces comptes engagés contre le racisme anti-asiatique, une association œuvre depuis plus de 10 ans contre ces discriminations : l’AJCF. « On a été énormément sollicité. On a mis nos projets pros de côté pour sensibiliser et prendre la parole sur ce qui nous arrive. L’AJCF fait de la sensibilisation dans les écoles. On intervient en faisant des projections-débats, des ateliers de dessins avec l’illustratrice Siyu Cao pour apprendre à mieux connaître les différentes cultures. Avec Grace Ly on organise des ateliers d’écriture pour que les jeunes jouent différentes situations de discriminations pour voir comment ils peuvent réagir », détaille Daniel Tran. Parallèlement, le vice-président de l’AJCF et délégué à la mairie du 13e arrondissement de Paris organise des événements de prévention dans cet arrondissement, plus communément appelé Chinatown.
À quand une mobilisation en France ? Pour le moment, ce n’est pas encore prévu. Les acteurs de la lutte contre le racisme anti-asiatique pointent du doigt un manque d’élan et de visibilité de la part des médias pour organiser une manifestation.
