La consommation de contenus pornographiques en ligne a augmenté durant les périodes de confinement dans le monde entier. Mais que peut-on dire de cette hausse ? Bien plus que de simples statistiques, ces taux révèlent de nouvelles façons d’appréhender la sexualité et de la contenter.
Selon une étude réalisée par PornHub, leur site a connu un bond de fréquentation en France entre les mois de février et mars 2020. Le 17 mars, premier jour du confinement dans le pays, la plateforme a connu une augmentation de presque 40 % le soir même. Le trafic du site a été tel que la direction de Pornhub a dû réduire la qualité des vidéos proposées pour ne pas saturer son réseau français.
C’est d’ailleurs une histoire qui se répète en novembre lorsque l’on se rend sur Google Trends : on observe un pic de recherches le jour du confinement d’octobre.

Si rester chez soi impliquerait une consommation plus grande de pornographie, les faits amènent à pousser l’analyse plus loin. Certains ont commencé à en regarder pendant le confinement et ne se sont plus arrêtés. D’autres ont cherché des moyens de le consommer différemment. C’est le moment de se pencher sur les effets d’une quarantaine qui a été moins calme qu’on ne l’imaginait.
Il faut dire que le géant du secteur avait frappé fort dès le premier jour du confinement français : un mois d’abonnement premium offert à tous les utilisateurs pour passer le temps. Quelle corrélation peut-on établir entre confinement et vidéos pornographiques ? Pour répondre à cette question il faut d’abord comprendre une chose : nos rapports avec le X ont beaucoup évolué.

PORNO MAINSTREAM ET JEUNESSE
Le 21 novembre 2020, Meredith Temple-Smith, chercheuse dans le domaine de la santé, déclarait dans un article de Slate : « Il faut garder en mémoire que la pornographie peut affecter à la fois les personnes qui la consomment et celles qui y figurent. » Si la consommation du porno peut être bénéfique, elle peut cependant devenir une véritable addiction.
En collectant les témoignages de jeunes âgés de 20 à 25 ans, on observe que leur consommation de contenu pornographique a, en moyenne, doublée pendant le confinement. Jules*, étudiant de 22 ans, s’est retrouvé seul dans son appartement. Habitué à l’interaction tinderesque, il regardait du porno presque tous les jours en mars. Il explique cette situation non pas par la solitude, mais par l’ennui. C’était devenu « une occupation pour passer le temps ». Une occupation à laquelle il pouvait aussi consacrer plus de temps : « on est moins pressé pour chercher quelque chose qui nous convient. On a plus de temps pour explorer tous les contenus » confie t-il.

Pour Axel Pelletier, psychologue clinicien, l’addiction à la pornographie est une réalité qu’il faut aborder après ces périodes de confinement. La situation a créé des conditions propices pour rassasier la curiosité face au porno. Elle a aussi pu développer une addiction qui pousse à s’isoler. Une addiction qui pousse au craving, un besoin irrépressible de consommer le produit, et qui a été accentuée par un isolement prolongé. « À chaque fois que tu en regardes, c’est l’excitation de la nouveauté. Tu peux te dire ‘ah c’est pas exactement ce que je voulais’, donc tu changes vers une autre vidéo pour trouver le moment parfait qui te comblerait, LA vidéo parfaite. Tu y passes beaucoup de temps et ton cerveau est sous beaucoup d’hormones. C’est là que tu en deviens quasiment accro.»
Pour Romain*, qui a triplé ses visites sur les sites pornographiques, le confinement a modifié son rapport à la masturbation. « Avant c’était un besoin qui faisait du bien, alors que là, c’était mécanique, sans vraiment prendre de plaisir. » Cet argument revient chez 40 % des personnes interrogées (sur un panel de 50 jeunes âgés de 20 à 25 ans) et est expliqué par ce qui peut être caractérisé comme étant une addiction à la pornographie.
Pour Axel Pelletier, cette consommation machinale révèle une réelle addiction. « Les conditions étaient réunies pour aggraver une addiction à la consommation de vidéos mainstream. Cela a mis en place un cercle vicieux où le cerveau en vient à prendre des réflexes pour assouvir des besoins. Le fait de s’asseoir sur son lit chez soi : si tu as pris l’habitude de regarder ton film porno pendant quinze minutes sur ton lit, cela va apparaître comme un réflexe. Ton cerveau va t’envoyer un signal qui va te donner envie de regarder du porno sans en avoir vraiment conscience.» La consommation excessive de contenu pornographique ne relève pas encore de la maladie mentale, « mais cela risque bel et bien d’évoluer. Toutes les études neuro-psychologiques, comportementales, génétiques, soutiennent qu’elle produit le même effet qu’une drogue sur ton cerveau.», confirme le psychologue clinicien.
Cependant, même en augmentant la fréquence de visionnage, notre rapport à la pornographie n’est pas forcement une mauvaise chose. C’est un moment de plaisir qui ne génère pas forcément une dépendance. Pour Caroline*, confinée loin de son copain à l’époque, le porno a été un moyen de se faire réellement plaisir et de ne pas subir ce manque d’interactions sexuels. Selon elle, cet isolement aurait même permis à des novices de découvrir leur corps : « le confinement a peut-être aidé les gens qui n’avaient pas le temps de se donner du plaisir d’en prendre puisqu’ils n’avaient pas à aller au travail tard et étaient seuls. »
De tous les retours collectés, un élément se retrouve dans 90 % des cas : PORNHUB. Les sites mainstream, Youporn et XHamster, arrivent juste derrière. Ces plateformes ont profité de l’explosion des visites sur les sites pornos pendant le confinement.
Elles ont pourtant été au cœur de nombreux scandales concernant le traitement des actrices et de leur consentement souvent flou, les salaires inégaux entre les acteurs et le manque de représentativité. Le plus gros problème du site s’illustre dans son manque de sécurité. N’importe qui peut diffuser la vidéo de son choix, sans que l’avis des participants soit requis. Kate Isaacs, activiste et fondatrice de la campagne Not Your Porn déclarait en mars 2020 dans The Guardian : « il existe une multitude d’entreprises de porno éthique qui mettent en place des systèmes efficaces pour assurer que chaque personne impliquée dans une production est un adulte consentant. PornHub est une vaste entreprise profitant de vidéos non-consenties. » De nombreuses pétitions ont vu le jour pour dénoncer des mises en ligne par des violeurs, qui ont utilisé leurs victimes et qui exposent des contenus traumatisants pour ces femmes, bien des années après.
Pour contrer ce porno mainstream, il s’agit de s’éduquer face à notre consommation mais aussi d’envisager de nouveaux moyens de le faire. C’est le cas de Paula* qui a profité du confinement pour découvrir les podcasts érotiques. Elle évoque notamment Voxxx, un support audio sur lequel elle a appris à découvrir la masturbation autrement. « Je ne pensais vraiment pas y arriver sans image. Mais en fait, se masturber en ayant bonne conscience c’est un vrai truc. » Voxxx fait en effet partie de la liste de nouveaux supports qui permettent de couvrir un champ plus large de la pornographie. Il ne s’agit plus de voir des fantasmes se réaliser mais bien de passer un réel moment de connexion entre soi et son plaisir. Olympe de G, créatrice de contenus pornographiques audio pour Voxxx, explique d’ailleurs chez Vlan! la nécessité de changer le porno.
PORNO 2.0
Pour les adeptes des grands sites, il paraît difficile de se détacher des normes, des représentations faussées des corps et des sexualités qu’ils ont à offrir. C’est pour cela que de nouveaux acteurs sont arrivés sur la scène du porno pour le rendre plus éthique. Erika Lust, réalisatrice de films érotiques pour adultes, croit en un porno juste et respectueux, qui ne s’adresserait pas seulement aux hétérosexuels, tout en ne fétichisant personne, par le biais de stéréotypes. Elle a notamment mis en place pendant le confinement un projet appelé Sex and Love in the Time of Quarantine. Il s’agissait de confesser un fantasme, des envies érotiques qui animaient les personnes confinées, pour ensuite en faire un film avec certaines d’entre elles. Les XConfessions sont disponibles en ligne et redorent l’image morale du monde du X. Faire du porno pour les personnes qui le regardent, en explorant toutes les sexualités, tout en pensant aux acteurs. C’est le défi que relève Erika Lust en donnant un nouveau souffle au porno.

« Je suis une réalisatrice indépendante de films pour adultes, basée à Barcelone. Mon but est de créer des représentations réelles, égalitaires et positives du sexe et du plaisir à l’écran. C’est aussi pour offrir une alternative, plus cinématographique, face au porno mainstream produit en énormes quantités. », voilà comment Erika Lust se présente.
Une femme qui réalise du porno pour tous et par tous, depuis deux décennies : « J’ai commencé mon entreprise il y a presque 20 ans parce que je voulais que le porno change. Je voulais créer du porno dans lequel le public puisse se reconnaître. Pour qu’il puisse voir du sexe qu’il pratique et qui l’inspire. Je voulais aussi que les gens deviennent plus réceptifs à l’immense spectre des sexualités qui existe. J’ai la conviction que nous avons besoin des femmes, de la communauté LGBTQ+ et des personnes racisées pour pouvoir créer le changement. »
« Je veux que le regard féminin et queer soit une norme, plus seulement une exception. »
ERIKA LUST, RÉALISATRICE INDÉPENDANTE DE FILMS ÉTHIQUES POUR ADULTES
Sa volonté de faire bouger les choses remonte à son adolescence, lorsqu’elle a été confrontée pour la première fois à du contenu pornographique : « Lorsque j’ai regardé mon premier porno, je ressentais un réel conflit interne. Les vidéos m’excitaient certes, mais ce n’était pas vraiment du plaisir car je sentais que quelque chose n’allait pas sur le plan éthique. » Avec le temps, elle s’est lassée de cet « archétype blanc et mince », et a mis tout en place pour « montrer tous les corps, de toutes les origines et identités, tout en ne fétichisant pas les différences comme dans le porno mainstream. » Elle aborde ces problématiques en utilisant le terme de « catégorisation ». Selon elle, c’est « un outil puissant pour créer un schéma très réducteur. Par exemple, les catégories comme « 18 ans et abusée », présentées comme des catégories normales sur un site, sont ridicules et dangereuses. Le porno passe souvent à la trappe des contrôles parce que personne ne veut en parler en public. Nous devons dénoncer et attaquer ce langage abusif, ces insultes misogynes ou raciales et ces catégories racistes offensantes. »

Contrer les normes est une chose, mais Erika Lust souhaite le faire qualitativement. Rien n’est laissé au hasard dans ses productions : « Dans les XConfessions par exemple, nous investissons environ 17 000 euros dans chaque court métrage. Nous payons une équipe de travail pour l’habillage, la direction artistique, le maquillage, les lieux et nous investissons aussi en post-production pour le son, la correction des couleurs. » Pour la réalisatrice, une partie de sa mission « est de montrer que les films pornos peuvent avoir des qualités cinématographiques. » car elle considère que « la plupart des vidéos mainstream sont dépourvues de toute beauté filmique. »
Avec ses films, elle bouscule les clichés des corps pour abolir les standards. Elle souhaite notamment que « le regard féminin et queer soit une norme et plus seulement une exception. » En plus de ce travail de déconstructions normatives, Erika Lust s’attelle aussi à libérer la parole, avec The Porn Conversation : « nous l’avons créé avec mon mari, Pablo. Le but est de donner aux parents et aux éducateurs les outils pour aider à ouvrir la conversation à propos du sexe et du porno à la jeune génération. Je pense que nous devons leurs apprendre à devenir des publics critiques face au porno et à déconstruire ce qu’ils voient sur ces sites.»
« Les hommes et leurs fantasmes sont utilisés comme des standards et tout ce qui se trouve en dehors est considéré comme ‘à part’.»
Erika Lust
Bien qu’elle soit une des initiatrices de cette nouvelle vague du porno, la réalisatrice constate tout de même que « nous assistons à un changement global et progressif dans l’industrie du film pour adultes. On se rend compte qu’il y a un besoin de commencer à faire des choses avec plus de valeurs et de meilleures conditions de travail pour toutes les personnes impliquées. Il y a de plus en plus de réalisateurs qui montrent diverses sexualités, sexes et genres pour montrer que le porno ne devrait pas être limité à une idée fixe. » Pour expliquer l’origine des schémas les plus populaires dans son milieu, la réalisatrice aborde le problème du sexisme.
« Les hommes et leurs fantasmes sont utilisés comme des standards et tout ce qui se trouve en dehors est considéré comme ‘à part’. » Bien qu’elle le dénonce, elle pense que le porno n’a jamais été un catalyseur de ce phénomène : « tout le sexisme au cœur de l’industrie du porno reflète celui déjà existant dans la société. Au lieu de mettre la faute sur le porno, nous devrions chercher du contenu qui contrent les stéréotypes de genre et la masculinité toxique tout en proposant des alternatives. »

L’industrie du X a été chamboulée à cause de la pandémie de COVID-19 et Erika Lust explique que cela lui a permis de découvrir de nouvelles facettes de la sexualité pour son travail : « En regardant les confessions des fantasmes que les gens m’ont envoyé anonymement sur mon site, j’ai remarqué un changement au regard des histoires plus digitales. Elles parlent de sexting, de show caméra, des applications de rencontres… » Un nouveau pan du porno qui a initié selon elle des modifications profondes dans nos pratiques, « grâce à la technologie, nous pouvons rester confinés tout en conservant des interactions. Mais bien sûr, ce moyen de se rapprocher, implique que l’amour et le sexe ont profondément changé. » Selon elle, tout cela pouvait être prévisible : « nous développons nos fantasmes depuis les expériences que nous avons dans la vraie vie. C’est donc sans surprise que cette pandémie mondiale est devenue profondément ancrée dans notre quotidien. »
*les prénoms des témoins ont été modifiés pour conserver leur anonymat
Pour aller plus loin : Le livre « Les jeunes, la sexualité et internet » de Yaëlle Amsellen-Mainguy et Arthur Vuattoux décrypte la relation que les jeunes entretiennent avec la sexualité, à l’ère du numérique
