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21 février 2021
Société

Sexualité en prison : la double peine

Sexualité en prison : la double peine
21 février 2021
Société

En prison, il n’existe qu’un seul lieu, non surveillé, où sont autorisées les relations sexuelles : les unités de vie familiale. Avoir accès à ces espaces est un droit, pour tout détenu en France. Pourtant, seulement 52 établissements pénitentiaires sur 188 en sont équipés. L’État condamne ainsi, sans le dire, les prisonniers et leurs conjoints à l’abandon de leur sexualité, ainsi qu’à une dégradation progressive de l’estime de soi.

Derrière les barreaux, entre une intimité impossible dans des cellules surpeuplées et l’absence d’unités de vie familiale (UVF) qui condamne à des rencontres furtives aux parloirs, les détenus et les conjoints mettent en place des stratégies pour tenter, tant bien que mal, de vivre leur sexualité.

“Notre relation se limitait essentiellement à de la discussion, à part quelquefois, où on s’est permis de le faire discrètement au parloir. Moi qui n’était pas féminine, j’ai découvert l’utilité de porter des robes.”  De son canapé, Lydia, une jeune trentenaire, nous raconte en visioconférence ce qu’elle a vécu.

Lydia travaillait en prison en tant qu’assistante de service social en maison d’arrêt, avant de rencontrer un homme en fin de peine. Ils décident de se mettre ensemble, avant qu’il soit incarcéré une nouvelle fois, quelques mois plus tard. “Je suis passée d’assistante de service social à compagne de détenue. Pour pouvoir aller le voir les week-ends, je devais faire plus de 1 000 kilomètres.”

Le parloir comme seule issue

Dans le centre de détention dans lequel était placé son compagnon, les UVF (petits appartements dans l’enceinte de la prison où des détenus peuvent recevoir la visite de leurs proches dans des conditions d’intimité) n’existent pas et les parloirs sont des boxs ouverts. “Dans ceux situés au fond du couloir, il n’y avait aucun vis-à-vis. Ça se battait entre couple, il fallait courir pour arriver les premiers”, confie-t-elle.

C’est dans cette centrale parisienne qu’elle entendit la première remarque sur son petit garçon de quelques mois. “Une bénévole de l’accueil famille m’a dit ‘c’est un bébé parloir ça.’ Je lui ai répondu : “oui c’est un bébé parloir, mais c’est surtout un bébé de l’amour.”

Le sexe est interdit en prison. Pourtant, des préservatifs sont disponibles à l’unité sanitaire. Voilà l’un des paradoxes qui entourent un sujet tabou derrière les murs.

En prison, le sexe s’exerce la plupart du temps en solitaire ou en cachette, au parloir. Des conditions difficiles faisant obstacle au plaisir, tout en risquant des sanctions. “Imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur” (selon l’article R57-7-2 du Code de procédure pénale) peut entraîner un rappel à l’ordre, des suspensions de droits de visite ou un passage en commission de discipline. Même si les choses diffèrent en fonction de certains facteurs et de certains établissements, un sentiment de régression et d’humiliation dominent ces relations.

Le retour de bâton de l’abstinence

Arnaud Gaillard, sociologue et chercheur sur “le plaisir empêché et les crispations autour de la virilité et de la sexualité masculine”, observe des ruptures, dès l’instant où l’individu est incarcéré. “Les effets de cette privation de sexualité sont à la fois un sentiment de dégradation de soi mais aussi de régression, parce qu’il est contraint par des pratiques qu’il n’aurait jamais fait en dehors.”

D’un point de vue légal, la prison est une punition qui s’appuie sur la privation d’aller et de venir. La privation des relations sexuelles et tout l’érotisme qui l’entourent est vécu comme une punition de plus pour les détenus.

Dès l’entrée en détention, les prisonniers oublieraient leurs corps, submergés par l’univers carcéral qui impose un changement radical des repères individuels. Ce traumatisme placerait les préoccupations sexuelles de l’individu au dernier rang dans les premiers temps de son enfermement. Vient ensuite la frustration sexuelle qui constituerait un facteur d’aggravation des tensions et des agressions au sein des établissements pénitentiaires entre les détenus.

“Le plus grand problème de la privation de rapports sexuels, c’est une agressivité progressive qui contribue à la violence dans les rapports sociaux”, relève le sociologue, “La prison fonctionne en tant que conservatoire de la masculinité dans lequel des hommes refusent de voir leur image d’homme viril être dégradée. Ils vont donc marquer leur virilité au point de punir ceux qui feraient défaillir cette dernière”.

“(…)En prison, lorsqu’on parle de sexualité, c’est lorsqu’il se passe des faits graves, des viols ou des agressions.”

Les détenus parlent assez librement de sexualité lorsqu’il s’agit de se masturber soi-même. “Le premier samedi du mois, quand un film porno passe à la télé, c’est le calme plat. Ils font tous ce qu’ils ont à faire”, explique Nicolas*, surveillant en maison d’arrêt.

Chez les femmes, le problème est beaucoup moins prégnant. Dans des cellules à deux ou plus, ce problème d’identité de genre et de relations homosexuelles est moins significatif.

“Même si les détenues ont un mari ou des enfants à l’extérieur, elles arrivent à aller vers une femme, pendant leur séjour en prison, sans se poser la question de qui elles sont. C’est surtout par besoin d’affection ou de chaleur humaine. Ce sont des relations amoureuses-amicales. Quand elles sortent, elles reprennent le cours de leur vie”, raconte Lucie, une ancienne détenue au centre de détention de Valence.

Les pratiques individuelles de masturbation sont également facilitées pour les détenus qui détiennent illégalement des téléphones portables.

“C’est vrai qu’en prison, lorsqu’on parle de sexualité, c’est lorsqu’il se passe des faits graves, des viols ou des agressions. On aborde très rarement ces questions. pourtant, ça fait partie de la vie en détention”, livre Nicolas.

Qu’en est-il de la contraception ?

Le rapport de Sidaction (2014) indique que “comme dans toutes les prisons du monde, la prévalence du VIH en détention (5,5 %) est supérieure à celle en milieu libre (3,7%).” Les maladies transmissibles sexuellement les plus fréquentes sont la chlamydia, la gonorrhée, l’herpès génital et l’hépatite B, mais le VIH est certainement le fléau le plus inquiétant. En détention les relations sexuelles non protégées, consentantes ou non, sont fréquentes et augmentent le risque de transmission.

“Aller chercher un préservatif, c’est un peu une manière de signer ses relations, une manière de dire je commets une faute. Pourtant, il n’y a aucun texte de loi qui interdit la sexualité en prison et on met à leur disposition des préservatifs”, souligne Valérie Bourdin de l’Association de lutte contre le sida. C’est là ou le paradoxe est compliqué à gérer pour les détenus. La mise à disposition du matériel n’est pas du tout généralisée.

Comme les emballages en aluminium sonnent aux portiques, il est difficile de ramener des préservatifs de l’extérieur. Certains les transportent dans de la cellophane, ou bien le détenu s’en procure à la pharmacie de la prison. Les détenus peuvent demander des préservatifs aux soignants, même si le sujet de la sexualité reste tabou. “Dans les esprits, on a l’idée d’une vie carcérale sur le modèle de la vie monacale. Le détenu doit réfléchir à ses actes sans avoir de sexualité. Comme celle-ci n’est pas censée exister, personne n’en parle. Sauf si des violences ont lieu”, relève Nicolas. Pourtant, la prison est censée préparer la personne à un retour dans la société.

“Le fait qu’un certain nombre du personnel pénitentiaire tient à préserver le caractère punitif de l’interdiction de relation sexuelle en prison n’est pas normal”, ajoute Valérie Bourdin.

“Il y a une différence entre la sexualité pré et post carcérale; la prison n’est pas une parenthèse qui va se refermer lorsque l’individu sera libéré”

Aujourd’hui, la réinsertion et le maintien des liens familiaux font partie des missions de la prison. **Or, « penser une conjugalité sans sexe c’est quand même amputer la conjugalité”, assure Audrey Higelin, historienne et chercheuse sur les possibilités de maintien d’une vie sexuelle pour les compagnes de détenus.

Mais il y a surtout l’après. “Il y a une différence entre la sexualité pré et post carcérale; la prison n’est pas une parenthèse qui va se refermer lorsque l’individu sera libéré”.

La sortie est vécue comme un moment difficile d’un point de vue sexuel, alors qu’on pourrait penser qu’enfin “on se retrouve”. Pour la plupart des témoignages récoltés, ce n’est pas le cas. Cela vient contredire l’idée d’une période de détention dite “insupportable”, telle une guillotine du sexe, et d’une liberté qui est nécessairement heureuse et épanouie par la suite. Ces ressentis viennent également poser la question des conséquences de l’incarcération à long terme sur la sexualité.

Les dispositifs UVF qui sont déjà mis en place sont peu nombreux et peu fréquents. Ils sont réservés à ce que l’administration pénitentiaire appelle “une relation stable”. Ce qui oblige le conjoint non incarcéré à faire l’objet d’un examen assez normatif de sa relation avec le détenu.

À cet égard, plusieurs personnes parlent de compensation qu’elles peuvent trouver auprès d’amant de passage sans remettre en cause la relation qu’elles ont avec leur compagnon détenu. D’autres parlent aussi de l’usage de sextoys.

Penser un lieu de liberté où l'on oublie pour 24 ou 48 heures que l'on est en prison, où l'on peut s’embrasser à l’abri des regards, n’a pas suscité tout de suite l’engouement. L'unité de vie familiale ouvre le vieux débat sur la sexualité en prison. pic.twitter.com/yCrPQhNnQx

— France Culture (@franceculture) March 9, 2019

L’UVF est une avancée pour les conjoints de détenus. Mais, pour y accéder, les conditions ne sont pas si simples. “Il faut avoir suffisamment d’argent sur son pécule. Cela écarte déjà une grosse partie de la population carcérale. On demande environ 150 euros sur le compte du détenu, un comportement irréprochable, être gentil, et là vous avez peut-être une chance”, atteste Lydia.

Depuis la loi pénitentiaire de 2009, les détenus peuvent, en principe, demander à bénéficier d’au moins une visite par trimestre dans une UVF ou un parloir familial. Ces visites sont plus longues que celles en parloir ordinaire.

Pourtant, les autorités ne semblent pas pressées de faire avancer le dossier des Unités de vie familiale. Une gestion administrative qui n’a pas évolué depuis près de deux siècles. L’idée était déjà évoquée en 1814 sous le terme de “cabanons”.

En 2019, seulement 52 prisons étaient dotées de tels locaux, si bien que la loi reste inappliquée dans 85 % des établissements pénitentiaires. Un retard qui témoigne d’une conception encore purement afflictive de la peine dans laquelle la privation affective et sexuelle comptent parmi les souffrances et les humiliations censées compenser l’infraction commise.

(*) Certains prénoms ont été modifiés

Julia Pellegrini

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