Certains ont du mal à dire les mots arabe, juif et noir. La peur d’être accusé de racisme en les prononçant nourrit une gêne autour de ces mots parfois tabous. Pourtant, l’utilisation de ces mots se retrouve aussi au cœur des revendications antiracistes.
Les mots juif, arabe et noir renvoient à des éléments différents que sont l’appartenance religieuse, l’origine, et la couleur de peau. Ils qualifient chacun un groupe de personnes trop souvent victimes de discrimination et de racisme, hier comme aujourd’hui.
Ces trois mots suscitent parfois de la gêne. « Même si j’ai conscience qu’on ne devrait pas, je trouve qu’on peut ressentir une gêne en disant ces mots », admet Giacomo, 18 ans. Selon un sondage de notre rédaction, si une faible proportion de personnes est gênée à l’idée d’utiliser le mot juif, 15% des répondants le sont à l’idée d’employer le mot arabe et 25% le sont à l’idée de prononcer le mot noir. Ces chiffres augmentent lorsque ces mots sont employés en présence des différents groupes de personnes concernées : 15% pour le mot juif, 32% pour le mot arabe et 35% pour le mot noir.
Comment expliquer cette gêne face à des mots a priori neutre ? « Aujourd’hui, il y a une grande sensibilité autour des questions d’identification communautaire, constate Nicolas Bancel, historien spécialiste de l’histoire coloniale et post-coloniale française. Nous avons l’impression que les mots sont piégés car nous sommes dans une période de tension, qui s’exprime à la fois par un retour du racisme et de l’autorisation à exprimer des pensées racistes. » Selon l’historien, cette autorisation est nouvelle. Le racisme aurait connu une forme de prohibition morale suite au traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de ses politiques racialistes.
« Aujourd’hui, une insulte raciste est passible de sanctions. Chacun essaye donc de surveiller son langage », commente Marie Treps, sémiologue et autrice de Maudits mots : la fabrique des insultes racistes (Ed. Points, 2020). Pour surveiller leurs mots, les personnes vont alors avoir tendance à mettre en place des stratégies d’évitement.
Parmi ces stratégies, ont peu compter l’utilisation de termes comme « personnes issues de la diversité », « gens de couleur » ou « black ». D’après notre sondage, beaucoup utilisent le verlan. « L’utilisation des mots ‘feuj’, ‘rebeu’ et ‘renoi’ passe par un procédé ludique afin de rendre ces mots plus légers », explique Marie Treps.
Or les mots arabe, juif et noir ne sont pas de nature discriminante. « Tout dépend de la manière dont ces mots sont employés, car ils peuvent être neutres, dépréciatifs ou mélioratifs. Par exemple, le terme ‘juif’ n’est pas stigmatisant en soi, mais il peut être employé de manière stigmatisante, analyse l’historien Nicolas Bancel. C’est le cas lorsqu’un discours tend à essentialiser un groupe, en parlant des juifs comme d’une communauté homogène, indifférenciée. »

Certains ont tout de même peur d’offenser, malgré une utilisation neutre de ces termes. Au moins 10% des personnes que nous avons sondés ont l’impression d’être offensantes lorsqu’elles utilisent un des mots étudiés. « Moi cela ne me gêne pas qu’on me dise ‘arabe’, je ne ressens aucune offense derrière ce terme, explique Sophia, 27 ans. Certains ont peur d’utiliser ces mots de crainte d’être offensant, mais ‘arabe’ n’est pas un gros mot. »
Le mot noir, plus dur à dire que les autres ?
« Je ne suis pas gêné à l’idée de dire ‘arabe’ ou ‘juif’, déclare Souhail, 43 ans. Le mot ‘noir’ n’est pas une insulte, mais je ne trouve pas cela normal de désigner une personne par sa couleur de peau. » L’emploi du mot noir semble le plus discuté.
L’histoire particulièrement violente des communautés noires en est la cause. « Le mot ‘noir’ a été utilisé lors de la traite et de l’esclavage, il restera toujours un peu suspect », rappelle la linguiste Marie Treps.
Nicolas Bancel explique que si l’emploi du terme noir peut gêner par sa connotation d’ascendance coloniale, ce mot est parfois préféré pour revendiquer la fierté d’être noir. « Des membres de la communauté noire se revendiquent comme tels, afin de retourner le stigmate caché derrière ce mot et revendiquer une identité positive », analyse-t-il.
Selon l’historien, il y a ainsi réappropriation du vocabulaire par des associations militantes dans les années 2000, avec par exemple la Marche des beurs et l’émergence du CRAN (Conseil représentatif des associations noires) en 2005. « Le CRAN décide d’employer le terme ‘noir’ dans un sens qu’il veut positif. »
L’utilisation du mot noir est en effet au coeur des revendications de certains militants antiracistes. « Ne pas dire le mot ‘noir’ ne permet pas d’éviter le racisme. Au contraire, ne pas reconnaître les différences entre les races en leur sens social revient à ne pas reconnaître que les discriminations existent, affirme Emma Bazou, qui a initié le mouvement Black Lives Matter à Nice. Or on ne peut pas trouver des solutions au racisme systémique ou ordinaire si on ne reconnaît pas le problème. »
Également co-responsable du collectif Uni.e.s Nice, Emma Bazou dénonce le phénomène de color blindness (indifférence à la couleur de peau). « Si on occulte les couleurs, cela revient à nier les expériences de vie des personnes racisées », déclare-t-elle. Si l’utilisation du mot en verlan renoi ne la dérange pas, la militante dénonce les euphémismes comme « personne de couleur » ou « ‘black’ qui, selon elle, conduisent à occulter les noirs. « Le mot ‘’black’’, quand on l’utilise en français, donne l’impression que le racisme n’existe qu’aux Etats-Unis », explique-t-elle. L’utilisation du mot black contribuerait à invisibiliser les noirs en France selon Emma Bazou.
Nicolas Bancel revient sur le fait que le mot black renvoie au mouvement noir américain pour les droits civiques, et aujourd’hui au mouvement Black Lives Matter. Il peut donc aussi être le symbole d’une identification aux mouvements revendicatifs. « Pour certains, ce mot témoigne d’une solidarité internationale afin d’améliorer les conditions socio-économiques des ‘blacks’ où qu’ils se trouvent. » À ceux qui ont l’impression d’être insultants en disant noir, Emma Bazou répond qu’ils faut qu’ils déconstruisent leurs schémas de pensée. « On a tous des préjugés, moi compris. L’important, ce n’est pas de ne pas en avoir, c’est de s’en rendre compte et de savoir les déconstruire. »
Pour aller plus loin, le documentaire Pourquoi nous détestent-ils ? réalisé et incarné par Amelle Chahbi, Alexandre Amiel et Lucien Jean-Baptiste, cherche à comprendre pourquoi certains français détestent les Musulmans, les Juifs ou encore les Noirs, en allant directement à leur rencontre.

Bravo pour cet article.
Je suis de la génération de jbaptiste(cf votre extrait de l’émission de France5) et découvre aussi le mal être et le questionnement de nos enfants.
Votre génération est dans la quête d’identité et j’espère que cette mise à plat des questions nous permettra à tous de sortir grandi par cette « aventure ».
Je découvre par la même votre site et il est plus qu’instructif.
Bravo !
Vidéo très intéressant qui m’ a permet de réfléchir sur ce qui sont les préjugés d’ aujourd’hui.
Parmi, le racisme est une maladie qui affecte les personnes faibles, frustré et ceux qu’ils ne sont pas habitués à tolérer la diversité.
La race humaine n’ a pas couleur.