Lenaïg Bredoux, journaliste chez Médiapart, a été nommée responsable éditoriale aux questions de genre, jeudi 1ᵉʳ octobre 2020. Ce nouveau poste, inédit en France, s’inscrit dans une volonté d’aller plus loin dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

La député LREM, Céline Calvez, évoquait déjà la question du gender editor dans un rapport sur la représentation des femmes dans les médias, publié en septembre dernier. Lenaïg Bredoux explique les enjeux liés à cette fonction qu’elle occupe désormais, et met en garde les médias sur les questions de genre.
Vous avez été nommée, jeudi 1er octobre, responsable éditoriale aux questions de genre, au sein de Médiapart. En quoi consiste ce nouveau poste ?
Lenaïg Bredoux Ce poste repose sur deux missions : la première mission a pour but de coordonner la couverture des questions de genre et de violences sexistes et sexuelles. Il ne s’agit pas de créer une rubrique « genre » mais plutôt d’ancrer ces questions à l’ensemble des services et dans l’ensemble du journal. Ça signifie aussi contribuer à « désinvisibiliser » les femmes dans l’espace médiatique. Il s’agira donc de renforcer la vigilance collective pour ne pas oublier les femmes sur des articles, en politique par exemple. La deuxième mission est celle de veiller à ce que Médiapart ne contribue pas à véhiculer des stéréotypes ou ne favorise pas cette invisibilisation. Pour autant, le but n’est pas de se déconnecter du reste des réalités sociales.
Vous êtes une femme du terrain : ces dix dernières années, vous avez enquêté sur de nombreuses affaires de violences sexistes et sexuelles, impliquant Denis Baupin, la Ligue du LOL ou encore Adèle Haenel. Poursuivez-vous votre travail de journaliste en parallèle de cette nouvelle fonction ?
L.B. Je continue à mener mes propres enquêtes, à écrire des papiers d’éclairage, à faire des entretiens, même si le travail de coordination est très chronophage, bien qu’invisible. Je n’ai pas envie de renoncer à faire des papiers. Je ne veux pas m’impliquer uniquement dans cette fonction.
« J’ai l’impression que les médias sont souvent à la traîne de la société »
Le poste de gender editor a été créé pour la première fois en 2017 par le New-York Times, journal américain démocrate, puis repris par El Diario, un site d’information espagnol plutôt ancré à gauche. Peut-on penser que la création d’un tel poste dépend de l’orientation politique du journal ou bien transcende-t-elle aujourd’hui les lignes éditoriales ?
L.B. Dans le cas de Médiapart, c’est un engagement éditorial fort qui correspond au choix du journal depuis plusieurs années. De nombreuses études, comme celle du CSA dernièrement [étude de juin 2020 sur la représentation des femmes dans les médias audiovisuels pendant l’épidémie de Covid-19], montrent que les femmes sont sous-représentées dans les médias. Le confinement a été révélateur. Les femmes étaient en première ligne de la crise : on les voyait à l’hôpital, dans les Ehpad, dans les supermarchés. En revanche, quand il s’agissait de débattre sur l’évolution de la pandémie, nous n’avions que des hommes sur les plateaux. Finalement, nous partons juste d’un constat et nous essayons, ensuite, de trouver un outil adéquat. Parfois, nous sommes un peu seul dans le paysage médiatique, c’est vrai. J’ai l’impression que les médias sont souvent à la traîne de la société. Ils doivent changer leurs pratiques, leur façon de faire. C’est aussi notre mission.
Pensez-vous que prochainement, un poste de responsable éditorial aux questions ethniques verra le jour ?
L.B. Nous avons déjà créé un poste « discrimination » chez Médiapart, avec à sa tête la journaliste Camille Polloni qui se consacre aux questions raciales notamment. Ça fait partie des problématiques majeures d’aujourd’hui. En France, on a encore beaucoup de mal à digérer ces questions. On le voit d’ailleurs aux débats suscités autour du séparatisme. Ça fait cependant partie des sujets que nous portons de manière très forte.
Percevez-vous cette création de poste comme une solution ultime ou bien comme un moyen supplémentaire pour rétablir la parité ?
L.B. C’est un outil. Nous verrons bien dans quelle mesure il fonctionne, s’il est pertinent, amené à durer, mais ça reste un outil. Les médias sont censés apporter des faits et produire de l’information. Aujourd’hui, invisibiliser les femmes c’est de la désinformation. Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on crée ? Comment on s’organise ? Ce sont ces questions-là qu’il faut se poser. Il y a plein d’outils possibles. Il faut des journalistes, du temps et surtout que ces questions soient considérées comme une priorité éditoriale. Et ça passe par une personne désignée pour coordonner ces sujets. Le comité de direction chez Médiapart est paritaire, la direction est paritaire, et nous veillons aussi à ce que les services soient paritaires, même si ce n’est pas évident. Il faut que les rédactions ressemblent le plus possible à la société au sein de laquelle elles évoluent. Ce poste ne règlera pas tous les problèmes, mais c’est au moins une tentative pour y répondre.

Nejma Bentrad