Facebook a lancé sa nouvelle interface de rencontres en France il y a un mois. Les ambitions du géant de se lancer dans ce nouveau marché et la non-exemplarité des sites de rencontres en matière de protection des données posent question quant à l’utilisation qu’en fera Facebook.
Après une phase de test de plus d’un an aux États-Unis, Facebook a lancé l’interface « Rencontres » en Europe. Le lancement, initialement prévu pour le 14 février 2020, a été repoussé à la fin du mois d’octobre afin de finaliser la gestion des données personnelles. La nouvelle interface compte actuellement 1.5 milliard de rencontres dans le monde depuis le lancement de Rencontres, aussi appelé Dating.
Ce nouveau service ne s’impose pas aux utilisateurs de Facebook. Ceux-ci doivent faire la démarche de s’inscrire dans l’onglet Rencontres, situé à côté des notifications pour avoir accès au contenu de l’interface. Olivier Le Deuff, maître de conférences à Bordeaux Montaigne et spécialiste en humanités numériques et digitales, explique ainsi que Facebook joue sur la « sphère de confiance ». Il ne suffit que de quelques clics depuis l’application d’origine pour avoir accès à ce contenu de dating. L’utilisation de la même application avec des identifiants uniques renforcent cette « prolongation d’usage » depuis l’application de base. Cela peut-être moins stigmatisant pour ceux qui n’assumeraient pas d’être sur un site de rencontres. Face au constat que les réseaux sociaux ont évolué vers la drague et les sites de rencontres vers la recherche d’amitié, la distinction des deux dans des interfaces distinctes par Facebook serait une manière de clarifier ces finalités.
Séduire un public plus « sérieux »?
L’application souhaite se spécialiser sur les rencontres « sérieuses » et à long terme. Un système de swipe, assez similaire à celui proposé par Tinder est utilisé. La principale différence consiste à pouvoir swiper uniquement après avoir lu les informations du profil en question. Après plusieurs semaines d’utilisation, Arthur, 23 ans, apprécie que les informations des profils soient mises en avant. Il trouve que « ça change des autres applis. Ça donne un côté moins charo » puisque les utilisateurs peuvent se baser sur plus d’éléments que simplement celui du physique. Pour autant, il n’a pas trouvé que le réseau était plutôt conçu pour des relations sérieuses.
En se distinguant de cette manière, « Facebook joue sur l’insatisfaction de son principal concurrent Tinder », explique Olivier Le Deuff. Le géant bleu cherche à s’étendre sur les territoires qui auraient pu lui échapper. Certains utilisateurs peuvent voir en Facebook Rencontres une alternative à Tinder. Les sites de rencontres ont en général deux options : favoriser la quantité ou la qualité des rencontres. Facebook prend le contrepied de Tinder en s’appuyant sur une « logique de filtre », c’est-à-dire en proposant une véritable sélection des profils en fonction des préférences des utilisateurs.
Facebook Rencontres se distingue aussi par sa nouvelle fonctionnalité secret crush que l’on peut traduire par coup de cœur secret. Cette option permet d’indiquer 9 crushs parmi les contacts Facebook ou Instagram. Si le coup de cœur est réciproque, le secret est dévoilé aux 2 protagonistes. Cette fonction n’a rien de nouveau selon Olivier Le Deuff puisqu’elle existait déjà il y a 10 ans avec l’extension « Bang with friends » (qui signifie littéralement coucher avec des amis). Le chercheur explique toutefois qu’une faille de sécurité avait été découverte et qu’il était facile de découvrir les coups de cœur de nos amis.
Selon Pascal Lardellier, enseignant à l’université de Dijon et spécialiste des rencontres amoureuses en ligne, cette stratégie est gagnant-gagnant Si ce système est utilisé par une majorité, cela boostera à la fois les inscriptions et l’égo des curieux. Facebook justifie cette nouvelle fonctionnalité avec le sondage réalisé en partenariat avec l’IFOP qui révèle que 31% des célibataires ont secrètement un coup de cœur dans leur entourage.

La carte de la transparence
L’atout décisif de Facebook dans ce nouveau marché est sans aucun doute l’utilisation des algorithmes pour proposer des profils pertinents, alimentés par les données récoltées sur le profil principal. « Les algorithmes sont souvent vus comme le diable dans la boîte » des applications de rencontres selon Pascal Lardellier. Pourtant l’utilisation des algorithmes (et les problématiques associées) par les sites de rencontres sont connues depuis des années. Les utilisateurs de ce genre d’application sont au courant de la « logique de filtre » opérée lors de la sélection des personnes proposées. Facebook joue ici la transparence en permettant aux utilisateurs de choisir si les profils suggérés doivent avoir des groupes ou des évènements en commun. Oscar, 21 ans, ancien utilisateur d’une célèbre application de rencontre, « ne veut plus avoir à utiliser des algorithmes pour rencontrer du monde ». De plus, dans le cas de Facebook Rencontres, il aurait peur que ses données de dating fuitent sur son profil principal.
À propos des divulgation de données, Facebook se veut rassurant en expliquant que le lancement a été repoussé pour optimiser l’application pour les utilisateurs européens. Le public européen est en effet plus méfiant que celui des États-Unis, selon Olivier Le Deuff. Même si Facebook assure que tout a été pensé pour éviter les fuites, les données de dating restent plus sensibles. Même si les métadonnées récoltées sont similaires (profils rencontrés, temps de connexion ou encore historiques de discussions) aux autres réseaux sociaux, le fait qu’elles s’appliquent à un contexte de séduction et à l’intimité de l’utilisateur les rend plus névralgiques, selon Pascal Lardellier. Nous pouvons aisément imaginer qu’une discussion sur Messenger ne sera pas comparable à celle qui aura lieu sur Rencontres, cette dernière sera forcément plus intime. Les données récoltées sur ces discussions n’auront donc pas la même valeur. De plus, l’application propose de renseigner des informations comme les préférences de genre des personnes rencontrées mais aussi la taille ou les convictions religieuses. L’utilisateur est plus enclin à compléter ces catégories dans une finalité de rencontre. Mais ce sont aussi des données très importantes dans une perspective commerciale pour cibler la publicité.
Olivier Le Deuff met aussi en garde face au risque « interne ». Il explique que la menace d’une fuite de données vers l’extérieur (comme avec Cambridge Analytica) a été corrigée et est moindre par rapport à 2016. En revanche, le fait qu’une seule application soit utilisée dans deux buts distincts pose problème. Le risque serait que ces deux silos de données s’alimentent et ne soient pas à sens unique comme le communique Facebook.
L’utilisateur ne peut rien faire pour s’en protéger. Les règlements comme le Règlement général sur la protection des données, (plus connu sous le nom de RGPD, mis en place par l’Union Européenne en 2018 pour protéger les données personnelles) ne s’appliquent pas dans ces cas-là. Dès que l’utilisateur consent à l’utilisation d’un service en s’inscrivant, Facebook reste maître des données récoltées. Toutefois, Olivier Le Deuff explique que les jeunes n’en ont pas peur et « pensent mieux gérer l’utilisation de ces données », contrairement à leurs aînés. Augustin, 27 ans, en fait partie. Il explique que « l’exploitation de ses données personnelles ne lui pose pas de problème puisqu’elles seront utilisées dans son intérêt ». Il critique en revanche la publicité ciblée qui en découle. Contrairement à Tinder, Rencontres est sans publicité. Un argument supplémentaire utilisé par le géant pour conquérir le public ?
Après un mois de lancement en Europe, il est encore trop tôt pour savoir si Rencontres est un succès. Les utilisateurs d’applications de rencontre en utilisent souvent plusieurs donc il est difficile de savoir si Facebook Rencontres bénéficiera d’un effet de mode. Olivier Le Deuff ne prédit pas un succès immédiat pour la nouvelle application. Ce n’est pas forcément l’objectif de Facebook. La drague devient une nouvelle fonctionnalité mais proposée parmi plein d’autres. « Le réseautage social reste le cœur d’activité de Facebook », conclut Pascal Lardellier. Peu importe l’issue de Facebook Rencontres, le géant cherchera à étendre son activité auprès des autres secteurs qui auraient pu lui échapper. Parmi ceux-ci, LinkedIn et le secteur du réseautage professionnel pourraient être les prochains sur la liste.
