Selon Campus France, 343 000 étudiants étrangers étaient présents sur les bancs de la fac en France, en 2019. C’est le premier pays d’accueil non anglophone. Cette année particulière pour les étudiants français, l’est encore plus pour les étudiants étrangers qui passent à côté d’une année très attendue dans leur parcours scolaire.
« Moi qui ai toujours rêvé d’étudier en France, c’est pas à cela que je m’attendais », lâche Mehdi, résigné par la situation. Ce jeune algérien est en dernière année de master à Aix-en-Provence et n’a pas vu sa famille depuis un an et demi. Il espérait la retrouver lors des vacances d’été mais la Covid-19 en a décidé autrement. Un premier confinement de près de trois mois et des frontières qui se ferment. En septembre, un vent de légèreté soufflait et Mehdi était heureux de retrouver ses camarades de promo : « on est tous hyper soudés », se remémore-t-il, le sourire aux lèvres et les yeux bleus illuminés.

Malgré le couvre feu déjà en vigueur à Aix et à Marseille, les étudiants essayaient de reprendre une vie presque normale, « heureusement que l’on a bien fait la fête en première année ! » s’amuse-t-il. Dans sa classe, il y a Valeria, 24 ans, grande blonde, qui arrive tout droit de Moscou. Son premier confinement, elle l’a vécu à Ankara, lors d’un échange Erasmus proposé par son école. Première situation stressante : « j’étais bloquée en Turquie jusqu’en août à cause de la fermeture des frontières. Il y avait peu de vols, j’ai pu finalement rentrer le 14 août par un vol détourné ». Ce répit à la maison fut de courte durée. Il lui a fallu retourner rapidement en France pour pouvoir faire sa rentrée auprès de ses camarades.
Un manque de soutien des universités
Ce nouveau confinement, qui vise particulièrement les étudiants, est un stress supplémentaire pour les élèves étrangers. Ils n’ont pas l’opportunité de se confiner chez des proches et leur isolement s’accentue. Valéria a préféré se confiner dans son studio, en espérant que le confinement ne dure pas trop longtemps. Elle a également fait ce choix pour optimiser ses conditions de travail, « je travaille mieux que si j’étais à Moscou. Je n’habite pas dans un pays voisin donc je préfère rester ici et attendre. Sinon, je n’aurais pas su comment revenir. En plus, les billets d’avion coûtent cher. »
Mehdi s’était déjà préparé à vivre un deuxième confinement « il y avait des rumeurs entre les étudiants et dans les médias. On s’habitue à être confiné ». Garder un rythme est difficile pour le jeune homme. « Je vis dans 10m² au sein de la résidence universitaire du Crous. On ne peut pas rester dans un tel espace, sinon on devient fou ! D’autant plus que l’administration a refusé de me donner un studio vacant plus grand pour raisons sanitaires. C’est absurde !» Il profite de son heure de promenade autorisée pour aller se défouler dans un parc près de chez lui.

Les deux étudiants se sentent oubliés par leur université : « On a l’impression que les profs s’imaginent que nous sommes chez nous tranquilles. La charge de travail est plus importante que d’habitude », ajoute le jeune homme. « Ça rajoute du stress au stress. En plus nous cherchons nos stages de fin d’étude en parallèle. Il y a peu d’offres et nous ne pouvons pas postuler partout vu que nous ne sommes ni français ni ressortissants de l’Union Européenne », commente Valeria.
La génération sacrifiée
Ce goût amer d’expérience gâchée est également partagé par les étudiants en échange Erasmus. Cette année exceptionnelle est souvent synonyme de fêtes, de voyages et d’amitiés du monde entier. Habituellement, l’association Erasmus Student Network (ESN), présente dans quarante pays, organise de nombreux événements toute l’année : séjours, cafés langues, semaines d’intégrations. Sébastien Lotte, président d’ESN France explique qu’ « aujourd’hui on lutte contre l’isolement et la précarité étudiante. Certains pays ont annulé les bourses Erasmus et les étudiants ne peuvent pas compter sur des petits boulots à côté. Les moyens ne sont pas les mêmes lorsque vous êtes un tchèque et que vous venez étudier en France, où le coût de la vie est deux fois plus élevé.»

L’association s’adapte, en proposant aux étudiants Erasmus de les accompagner pendant cette crise. Elle leur indique comment trouver un médecin anglophone, décrypte les mesures sanitaires ou encore organise des événements en ligne. Ce qui inquiète le plus Sébastien Lotte sont les conséquences psychologiques sur ce qu’il appelle « une génération sacrifiée. Cette année Erasmus est une étape de vie. À cela s’ajoutent les discours culpabilisants du gouvernement sur les jeunes et le stress de se savoir loin de sa famille. »
Des inquiétudes partagées également par Mehdi et Valéria. Ce soir, pour rompre cet isolement, ils se retrouvent autour d’un dîner. Dîner clandestin qui fait du bien lorsqu’on est loin des siens.
