Alors que la saison 2 attendue cette année a été reportée en raison du Covid-19, HBO a trouvé le moyen de faire plaisir aux fans d’Euphoria en diffusant un premier épisode spécial, ce dimanche 6 décembre. La série créée par Sam Levinson et produite par Drake en 2019, connaît un franc succès auprès des jeunes depuis sa sortie. Qu’est-ce qui explique cet engouement ? Décryptage du phénomène Euphoria.
Euphoria raconte la vie des lycéens de la Génération Z. À travers les différentes expériences que traversent les ados, elle aborde des thématiques profondes comme la dépression, l’anxiété nerveuse, les addictions ou encore le sexe. Inscrite dans une nouvelle dynamique de teens séries qui se veulent conscientes, le show a pourtant réussi à cultiver sa propre identité. « la série reflète beaucoup la réalité. Je suis à la limite de dire que c’est le miroir de notre génération ! », s’exclame Rosienne, 21 ans, fan d’Euphoria.
Bien plus qu’une série pour adolescents
Si au premier abord, Euphoria peut faire écho à des séries telles que Riverdale, 13 Reasons Why ou même Sex Education, la réalité en est toute autre. La série a tout d’abord réussi à se démarquer grâce à sa production. Pour rappel, HBO est à l’origine de Game of Thrones, ou encore de Chernobyl qui ont été primés une dizaine de fois. « La première chose qui m’a marqué avec la série, c’est la qualité visuelle de la production. Tout est extrêmement stylisé, la lumière est sublime, la réalisation est très impressionnante et le montage est tout aussi maîtrisé. Certains épisodes m’ont profondément marqué avec de vraies audaces de mise en scène, des plans-séquences, des trouvailles géniales, des citations d’autres films du même genre…. Malgré ses excès, jamais gratuits cependant, la série est beaucoup plus subtile que d’autres shows comme 13 Reasons Why », remarque Hugo, étudiant en journalisme. Sam Levinson, réalisateur d’Euphoria, avait déjà marqué les esprits en réalisant le thriller Assassination Nation, restant dans des thématiques liées à la jeunesse, à ses identités et aux dérives des réseaux sociaux.
C’est presque comme mettre en pause sa vie pour entrer dans la leur. »
Leïla, 17 ans
Euphoria puise son inspiration aussi bien dans des romans, tels que Flash (1971) et Les lois de l’attraction (1987), que dans des œuvres cinématographiques telles que Spring Breakers (2012) et Too Old to Die Young (2019). Bien plus qu’une « simple série Netflix », Euphoria s’affiche comme une œuvre dépeignant la jeunesse désabusée et inclusive de manière crue.
Une atmosphère esthétique aux déviances sombres
« Vous avez déjà vu une autre série avec la même empreinte visuelle qu’Euphoria ? Je n’ai jamais vu un teen-drama avec autant de budget et aussi soigné. Que ce soit dans les lumières, la réalisation et la musique. Il n’y a qu’à voir le nombre de TikTok et de meme sur la série », s’exclame Thomas, 25 ans.
La bande son de la série est devenue celle de cette jeunesse en quête d’identité. On y retrouve les musiques officielles d’Euphoria, interprétées par Labrinth, mais également celles d’artistes qui ont marqué l’année comme Billie Eilish, Lizzo ou même du groupe BTS, dont le titre renvoie au nom de la série.
Ces nuances violettes, ces néons, ces paillettes, tout cela a un nom : le bisexual lighting. Cette tendance peut être définie comme l’utilisation simultanée d’un éclairage rose, violet et bleu pour mettre en avant des personnages bisexuels. Il est utilisé dans les discothèques et, supposément, dans le monde du cinéma et de la télévision par le biais des éclairages de studio. Cette utilisation n’est pas anodine. La série se veut inclusive et souhaite représenter tous les genres et corps. Par exemple, Jules est interprétée par l’actrice transgenre Hunter Schafer.
Les réseaux sociaux ont mis en lumière la série grâce à ses nombreux challenges en rapport avec son esthétisme. « On a pu le voir il y a 6 mois, de nombreux influenceurs se sont mis à se maquiller sur le thème de la série, la couleur prédominante étant le violet », remarque Anaïs, 17 ans.
Euphoria dépeint une génération qui est victime de préjugés. La dimension funeste qui traverse les personnages parle aux plus jeunes, à cette génération TikTok qui préfère tourner en dérision l’état du monde plutôt que de « s’apitoyer sur son sort », comme le rapporte Florian. « Il y a finalement un paradoxe. Les décors sont colorés, les robes sont pailletées, les maquillages sont lumineux, mais les scènes sont tristes, parfois choquantes. Il y a donc cet écart important et cette volonté de faire comprendre aux jeunes que rien n’est ni tout blanc ni tout noir », constate Leila, 17 ans. « Notre génération a un peu tendance à tout esthétiser », s’inquiète Valentine en pensant au succès d’Euphoria sur la plateforme.
« Je pense qu’on a tous un petit quelque chose de chaque personnage »
Sur vingt témoignages recueillis par la rédaction auprès de fans de la série, 18 d’entre eux s’identifient ou identifient un membre de leur entourage à un des personnages de la série. Trois personnes s’identifiaient au personnage de Rue ou à ses sentiments. Même constat pour les personnages de Kat, Jules, Cassie, Maddie et Fezco. « Ils sont tous très vulnérables, comme on peut l’être quand on est adolescent. Mais ils essayent malgré tout de trouver leur voie, de se chercher, ce qui fait que l’on s’y retrouve tous », confie Laura, 22 ans.
La série peut paraître invraisemblable pour des personnes issues d’une génération plus âgée. Certains parents pourraient même avoir l’impression de plonger dans le journal intime de leur enfant. Les personnages sont mis à nu, « c’est presque comme mettre en pause sa vie pour entrer dans la leur » argumente Leïla, 17 ans. Euphoria reflète une génération plus américaine que française, mais les sentiments restent les mêmes. Elle traduit les enjeux contemporains de notre époque. Des questionnements nécessaires comme celui du genre, des réseaux sociaux, de l’accessibilité des drogues ou encore des troubles de la sexualité. La série a, dans un sens, une forte dimension pédagogique.
Pour les personnes ne s’identifiant pas directement aux personnages, la série a permis de mettre en lumière toutes ces problématiques, notamment sur la question de la transidentité. « J’ai pu comprendre ce que vivent les gens que j’aime et ce qu’ils pourraient ressentir. C’est apprendre à être plus indulgent d’une certaine manière », remarque Charly, 19 ans. Euphoria montre une génération qui « casse les codes et qui rend les sujets tabous accessibles à tous ».
Pour Rosienne, cette série a été vitale. Elle l’a visionné sept fois, dans cinq langues différentes. « Je pense que si je n’avais jamais regardé cette série, je ne serais peut-être pas en vie. Pendant ces longues minutes où je regardais Euphoria, j’aurais pu être en train de faire une connerie, comme me foutre en l’air. Mais je voulais vivre pour regarder la suite à chaque fois. C’est bizarre de dire ça, mais ça m’a sauvé ! » Euphoria doit son succès à l’ensemble des atouts qu’elle a réussi à réunir. Une production colossale, un univers esthétique, une bande son entêtante, des personnages attachants et des problématiques inévitables dans la construction d’un adolescent : c’est le défi qu’Euphoria a réussi à relever. « Ce n’est pas une série qui impose un point de vue. Euphoria est tout sauf une série manichéenne genre ‘la drogue, c’est bien’ ou ‘faut pas trop boire’. C’est une série excessive, jusqu’à son paroxysme, parce que nous le sommes. Elle m’a conforté dans l’idée qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour que les jeunes se sentent acceptés et bien dans leur corps », conclut Hugo.
