Après avoir grandi en banlieue parisienne et entamé un cursus d’arts appliqués dans la capitale, Chloé Rochefort part étudier les arts textiles et la sculpture au Royal College of Art. Depuis septembre 2019, c’est au rythme des rues londoniennes que son univers prend forme. Là, elle participe à la création de la galerie en ligne *Creating in Crisis et du podcast Artists in Pyjamas, pour favoriser la rencontre et l’échange artistique.
« J’ai envie que mes installations soient comme des bulles de bonne énergie et de joie, qui tranchent avec la vie de tous les jours. » Lunettes rondes sur le nez et sourire aux lèvres, Chloé Rochefort a le regard pétillant d’une exploratrice. Partout où ses univers la portent, cette artiste-plasticienne en formation s’amuse à enchanter le réel, à toute épreuve.
En septembre 2019, Chloé passe des rues de Paris à celles de Londres. Après avoir étudié les arts textiles à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (Ensamaa) pendant trois ans, elle part conter son univers au Royal College of Art, en plein cœur de la capitale britannique. C’est la première fois qu’elle quitte le foyer familial, tout est à reconstruire. Dans cette nouvelle ville, elle découvre une atmosphère bouillonnante et des murs dégoulinants de graffitis. « Je pense que je pourrais passer des heures à tout regarder », sourit-elle. C’est aussi là qu’elle développe un véritable sens du collectif, qui deviendra essentiel à sa pratique : « La magie opère lorsqu’on est capable d’avoir des échanges riches, qui peuvent faire gagner à tout le monde. »

Si cette nouvelle escale marque un véritable tournant artistique pour Chloé, le voyage commence pourtant bien plus tôt. L’année de ses six ans, sa mère l’inscrit à ses premiers cours de peinture à l’huile. « Dès les premiers jours de collège, je l’ai tout de suite vue gribouiller sur ses cahiers », se souvient Aurélie Lebrun, une amie d’enfance. Tour à tour, Chloé s’essaye au piano, au dessin, à l’écriture et au théâtre. Finalement, c’est la scène qui lui donnera envie de s’orienter vers des études d’art. Alors que ses amies se tournent vers l’ingénierie, l’agronomie et le commerce, Chloé crée et affirme peu à peu son univers.
Le goût de l’enfance
« L’autre jour, une amie est venue nous rendre visite dans notre studio commun pour la première fois, se souvient WooJin Joo, également étudiante en design textile au Royal College of Art. Dès qu’elle est rentrée, elle a directement distingué nos espaces de travail. Les créations de Chloé sont reconnaissables rien qu’à sa manière d’être. »
À la fois imposante et intime, chaque installation est comme un fragment de sa créatrice : ludique, sensible et remplie d’énergie. « J’ai l’impression qu’elle essaye de transmettre quelque chose à travers son art qui est présent en elle depuis très longtemps. Depuis qu’elle est enfant et qu’elle joue », interprète Coline Le Quenven, artiste-designer en formation au Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. La seule règle dans la création de ces univers, c’est qu’il n’y en a pas. Tous les matériaux sont permis, toutes les couleurs sont les bienvenues. L’art devient alors un terrain de jeu, et Chloé est la première à s’y amuser. « Je suis quelqu’un de très naïf. Je suis très attachée à mon enfance, à ma vision émerveillée du monde. Quand on regarde mes sculptures, on peut y voir tout ce qui se passe dans ma tête. »
Entre les couleurs vibrantes, les plis et les matériaux récupérés se faufilent de petites créatures faites d’objets oubliés. À la manière d’une artiste-archéologue, Chloé part à leur recherche dans les rues et les charity shops londoniens, véritables petits paradis tenus par des organisations caritatives. Le tout, en célébrant ces morceaux de passé, c’est de rester spontanée. « Je tiens cela des adventure playgrounds, ces espaces de jeux pour enfants construits dans les années 1960, explique l’artiste. Ça m’intéresse beaucoup car ces enfants utilisaient des objets trouvés pour redonner vie à leur créativité. »
Mais pas question de partir seule à l’aventure. De « Playing no more » à « The Great neighborhood of Happenstance Square », son dernier projet dans lequel elle imagine un jeu dans l’espace domestique, l’artiste embarque le spectateur dans ses expéditions temporelles : « L’interaction agit comme un mode de recherche qui peut pousser ma pensée plus loin et me faire voir les choses autrement. C’est aussi grâce à l’apport d’une audience que mon projet évolue. »

L’importance du collectif
Chloé en est certaine : les artistes sont des « innovateurs culturels », capables de rassembler et de créer un dialogue ouvert sur le monde. « Cette volonté qu’elle a de lier les gens entre eux n’est pas forcément visible au premier abord, observe Coline. Elle n’est pas nécessairement celle qui prend le plus de place dans un groupe. Son rôle est plus subtile, il est dans ce lien, dans cette harmonie qui unit tous ceux qui l’entourent. »
En mars 2020, cette aspiration au partage et au dialogue prend une toute autre dimension. Alors que l’annonce du premier confinement londonien tombe, le projet d’exposition auquel Chloé participe avec son école est annulé. « Ça a été une énorme déception pour la plupart d’entre nous, car je pense que c’était la première fois qu’on allait exposer notre travail dans un contexte de galerie », raconte Chloé. Sous l’impulsion de plusieurs étudiants, le projet se poursuit en ligne avec le compte Instagram Creating in Crisis. Il n’est censé durer le temps de l’exposition, mais Chloé et sa camarade Vivien Reinert voient plus loin. Rejointes par WooJin Joo et Livia Papiernik, également étudiante au Royal College of Art, elles font un pari fou : celui de transformer ce compte éphémère une galerie en ligne permanente. La nouvelle formule de Creating in Crisis voit le jour, permettant jusqu’ici l’accrochage virtuel de six expositions.
« On a réussi à faire tellement de choses à cette période, malgré les conditions, se souvient Livia, chez qui Chloé se confine en mars. Un jour on faisait des sessions de dessin dans le jardin, le lendemain, une séance photo pour s’inspirer et celui d’après on commençait notre podcast… On se motivait constamment ! » Ensemble, les deux artistes créent Artists in pyjamas, un podcast qui devient un espace de rencontre et de partage à part entière.
« On se sentait vraiment éloignées de la communauté que nous avions crée à l’école. Même si on était heureuses d’être là l’une pour l’autre, on a réalisé que beaucoup de gens étaient seuls dans leurs petits appartements. C’est là que l’on a mesuré l’importance du dialogue », explique Livia. Difficultés à appréhender le monde de l’art, discussions avec d’autres artistes et entraide sont au programme des sept épisodes mis en ligne. Chloé, toujours cette même énergie dans la voix, s’enthousiasme : « Ce sont les projets les plus inattendus comme celui-ci qui sont les plus beaux. »
